Qui est Simone K ?

Exposition du 14 février au 14 avril 2018

Chez Simone Kappeler, les prairies sont bleues.

Équipée d’un grand chevalet à la manière d’un peintre allant au motif, Simone Kappeler court les champs pour capturer l’ombre des fleurs. Ce sont les champs qui longent le Rhin, au nord de la Suisse, aux environs de Frauenfeld où elle vit. La photographe cherche les fleurs sauvages ou les graminées dont l’ombre viendra s’imprimer sur de grandes feuilles blanches qu’elle a pré-enduites au pinceau d’une solution de sels de fer. La prise de vue, réalisée sans appareil photo, dure à peine quelques minutes selon l’intensité de la lumière. La photographe retient son souffle - la moindre brise peut tout gâcher - puis elle enveloppe sa « prise » dans un drap noir. De retour au laboratoire, les feuilles impressionnées sont lavées à grande eau, et c’est au cours du lavage que les parties exposées au soleil prennent une coloration bleue, tandis que les parties non exposées – les ombres – restent blanches. Ce bleu profond, appelé bleu de Prusse ou bleu cyan, est caractéristique du cyanotype.

En utilisant ce procédé ancien, contemporain de l’invention de la photographie, Simone Kappeler marche sur les traces d’une autre femme, la botaniste britannique Anna Atkins (1799-1871) qui, dès 1843, réalise des albums en plaçant des algues sur un papier sensible, créant des empreintes sur fond bleu.
Outre l’amour de la botanique (Simone Kappeler connaît toutes les plantes par leur nom, science héritée de sa mère et de son enfance à la campagne), ces deux femmes ont en commun d’être des exploratrices dans le domaine de la photographie. L’utilisation de l’image photographique pour illustrer ses herbiers a fait de Anna Atkins une pionnière et probablement la première femme photographe. Douée d’un même esprit expérimental, Simone Kappeler s’est essayée à toutes sortes de techniques photographiques : sténopé, photogramme, photographie aux rayons X et infrarouges, Polaroïd, platinotype - utilisant plus d’une vingtaine d’appareils photo différents, des plus nobles (Hasselblad, Leica) aux plus simples (Diana camera, appareils jetables). Manquait à sa palette le bleu dense du cyanotype.

C’est à travers sa collection de photographies anciennes que nous avons rencontré Simone Kappeler. Elle collecte les images comme les plantes, non pas en collectionneuse accumulatrice mais en esthète. Ses goûts la portent vers des images anciennes d’une grande finesse, le plus souvent anonymes. Le portrait d’une femme ou d’un jeune garçon du XIXème siècle la touchent car ces êtres ont été vivants et grâce à la magie de la photographie, par le biais d’un regard, la sensualité d’un tirage, un détail, quelque chose palpite encore. Tout comme les fleurs vivantes dont elle capture les ombres. C’est toute la différence avec un herbier qui range sagement les plantes sur des planches, dans des compositions claires et organisées. Ce que cherche la photographe, c’est attraper le vivant, saisir le mouvement de la nature, son fouillis.

Faire dialoguer ses derniers travaux – des pièces uniques issues d’une technique primitive – avec sa collection de photographies anciennes nous a paru dans l’ordre naturel des choses concernant Simone Kappeler. Le mélange fonctionne à merveille, le bleu de Prusse et les teintes sépia des photos du XIXème siècle se réchauffant mutuellement. Ce jeu de miroirs ne dit pas tout, mais un peu plus sur ce qui agite, inspire, fait rêver cette photographe libre comme l’air.

Marion & Philippe Jacquier

Exposition réalisée avec l'aimable autorisation de la Galerie Esther Woerdehoff, qui représente Simone Kappeler en France