Exposition du 13 octobre 2021 au 29 janvier 2022
1899 : les ouvriers des aciéries de Longwy en Meurthe-et-Moselle sont convoqués par leur patron pour participer à une séance de prise de vue devant leur atelier. Pour la majorité d’entre eux, c’est probablement la première fois qu’ils sont pris en photo. Obéissant aux consignes d’un photographe professionnel, ils se tiennent immobiles en rangs étagés, les yeux rivés sur l’objectif. Certains exhibent leurs outils de travail, d’autres ont leur enfant en bas âge dans les bras. Tous posent fièrement mais personne n’est dupe : cette photographie ne leur est pas destinée. Elle répond à une commande du patron dans le but de constituer un album qui vante le prestige de son usine. L’ouvrier n’est ici qu’un simple figurant au sein d’un groupe de travailleurs. Son nom ne figure nulle part, son image ne lui appartient pas.
À l’aube du XXe siècle, le travail photographié est essentiellement le fait d’une mise en scène qui tend à montrer une image idéalisée des ouvriers définis uniquement par leur tâche et leurs outils. Or, par la qualité de présence des travailleurs, la dignité de leur maintien, l’intensité de leur regard, la photographie échappe à l’intention du commanditaire. Finalement, au-delà des détails qui nous renseignent sur la condition ouvrière, ce qui retient notre attention, nous fascine, ce sont les visages, ce lieu du corps où se loge la personnalité, cette partie la plus unique et irremplaçable de l’individu. Tout comme la photographie, le visage est une surface sensible sur laquelle viennent s’imprimer des traces durables. L’ouvrier porte sur la figure les marques du travail, mais en même temps son visage, par sa singularité et son mystère, se dérobe sans cesse à celui qui veut le réduire à un objet.
La photographie des ouvriers de Longwy, acquise il y a plus de quinze ans, est à l’origine de notre collecte d’images sur le monde ouvrier. Au fil des années et en ordre dispersé, nous avons réuni près de 300 tirages originaux datant de 1880 à 1940. Ce corpus illustre l’idée du travail héritée de l’époque de la grande industrie quand les fumées des usines envahissaient le paysage urbain. A travers une multiplicité de visages, l’exposition s’attache à montrer comment ouvrières et ouvriers vont progressivement s’affranchir de la représentation patronale et inventer par le biais de la photographie un espace d'expression de leur propre culture.